Photo Stéphane Burlot

Le 03 février 2023 par Guillaume Quintin

La droite ultra libérale macroniste nous le chante sur tous les tons, en cette période de bataille contre la réforme injuste, inique et inutile des retraites, la gauche n’aime pas « la valeur travail ». À tel point que nos députés « n’auraient jamais vu un bulletin de salaire », défendraient les « fainéants », jusqu’à l’inénarrable Gérald Darmanin pour qui, je cite : « il y a aujourd’hui chez la NUPES et singulièrement à La France Insoumise, des gens qui n’aiment pas le travail ».

Notez bien, nous avons aussi quelques joli #CSC* à gauche, en particulier avec Fabien Roussel qui nous expliquait, il y a quelques mois, qu’il avait envie que la gauche, je cite encore, « cesse de défendre « les allocations » au lieu du « travail » ». On en est baba. Ça confinerait presque au sublime, si ça n’était pas si tragique.

Je vous épargne les éructations de Cazeneuve, que Sandrine Rousseau a qualifié « d’homme de droite » parce qu’il avait évoqué la « valeur » travail. Elle est sympa Sandrine… Neandertal eut été plus approprié… Je suis en revanche, un peu gêné par l’interview qu’avait donné François Ruffin en septembre dernier sur F‑rance Inter où il avait ouvertement souhaité que « la valeur travail revienne à gauche ».

Désolé François, mais dans notre camp, on ne peut pas, et je crois de façon assez définitive, évoquer, voire invoquer, la « valeur » travail. En effet, le travail n’est pas une « valeur », du moins pas au sens où la droite (de Cazeneuve à Le Pen) veut nous l’infliger. Le travail n’est pas une valeur « morale ». C’est une valeur « marchande ». Et c’est ainsi depuis que l’homme a été libéré du servage et qu’il est libre de proposer sa force de travail à qui veut bien la lui monnayer, quoique son statut ait beaucoup varié au cours du temps.

Des maitres maçons francs (ie : affranchis et autorisés à voyager) bâtisseurs de cathédrales du Moyen Age, qui possédaient, littéralement, leurs compagnons et leurs apprentis, aux Décrets d’Allarde de 1791 qui stipulent que « chaque homme est libre de travailler là où il le désire, et chaque employeur libre d’embaucher qui lui plaît grâce à la conclusion d’un contrat dont le contenu est librement déterminé par les intéressés », de l’ouverture des premières filatures anglaises, marquant début de l’ère industrielle, à la fermeture des usines Kenzo de Picardie par Bernard Arnault, la relation de travail a connu au cours des siècles pas mal de formes et de réformes.

André Conte Sponville (ce gauchiste ! – non) a fait le tour des business schools avec cette conférence où il l’explique parfaitement : Le travail n’est pas une valeur morale, sinon, on bosserait pour rien. Et la meilleur preuve que le travail est une valeur marchande et non une valeur morale, eh bien, c’est qu’en contre partie de son travail on perçoit un salaire ! Et c’est bien, nous dit Conte‐Sponville (ce punk – toujours pas !) « parce que le travail n’est pas une valeur morale, qu’il a une valeur… marchande ! ». Limpide ! Il ne viendrait à l’esprit de personne d’ouvrir boutique dans le but de faire commerce de loyauté, d’honnêteté ou de respect, qui elles pour le coup sont de véritables valeurs morales.

Dans l’entreprise aujourd’hui le travailleur est « salarié » (cas général). Il amène sa force de travail et repart avec une contrepartie en argent, mais pas seulement : il y également une contre‐partie « sociale » puisqu’il cotise, grâce à son travail et à ce qu’il produit de « richesses » aux diverses caisses de sécu (santé, chômage, retraite, etc). Y compris les cotisations dites « patronales » sont payées grâce à sa sueur.

Le travail est donc une marchandise qui s’échange contre une somme plus ou moins élevée, plus ou moins encadrée, d’argent. Il a donc un prix. C’est même un prix « de marché », au même titre que les matières premières, l’énergie et toute cette sorte de choses qui forment les ressources des entreprises. On parle d’ailleurs de « Ressources Humaines », de « RH », sans mesurer combien le seul fait d’en parler de la sorte les déshumanise ! Il faut d’ailleurs noter que, et bien souvent dans la bouche de la droite, plus un travail est utile à la collectivité, plus il est « moralement valorisé » (tiens donc) moins il l’est en argent. Ainsi, les enseignant•es, les hotes•ses de caisses, les infirmier•es, les AESH, les aide-soignant•es, les routier•es, etc qui ont tenu la boutique à bout de bras pendant le COVID, et qui ont fort justement reçu le titre de « premier•es de corvée », se retrouvent « dernier•es de cordée » quand il s’agit de percevoir son dû mensuel.

La Macronie nous rebat les oreilles avec les riches que nous n’aimerions pas et qui le seraient devenus à force de travail (qu’ils tiennent, donc pour une valeur «morale »). Le riche est donc, selon leur croyance, éminemment vertueux, puisqu’il doit son argent à beaucoup de (valeur) travail. Vous la voyez l’arnaque ? O.K. !

Or, s’il est un travail qui enrichit les riches, c’est bien le travail d’autrui. C’est d’ailleurs pour ça que le sus‐nommé B. Arnault, n’hésite pas à fermer une usine en France où des ouvrières françaises assemblent un costard Kenzo pour 100 balles et le délocaliser en Pologne où il sera assemblé pour le ¹⁄₃ de la somme. Gain 70€ sur une pièce qui sera vendue peut être 1500 ou 2000€… On mégote 70€ sur le coût pour l’entreprise du travail d’ouvrières françaises pour le refiler à des ouvrières polonaises, afin de générer 70€ de marge supplémentaire pour Kenzo et ses actionnaires (LVMH). Entre 3 et 4 % de gain, ça paraît peu, mais c’est en réalité énorme, quand il s’agit montrer à ses actionnaires que l’on sait prendre les décisions qu’il faut pour maintenir la rentabilité de la boite. C’est ça, le travail (moral) de B. Arnault ! Mais qu’y comprenons nous, nous autres, pauvres gueux que nous sommes puisque qu’il « (je) constate avec un peu de surprise – encore qu’en France, il ne faut jamais être surpris – que les gens ne connaissent pas bien l’économie, donc on se fait critiquer par des gens qui ne connaissent pas bien le sujet dont ils parlent » (AFP – 27/01/2023). Ces propos ont été tenus lors de la présentation des résultats annuels du groupe, qui a une nouvelle fois battu des records en atteignant 79 milliards d’euros de ventes et 14 milliards de bénéfice net. Une paye !!

Il se trouve en réalité que le travail est, tel qu’organisé de nos jours, et particulièrement s’agissant du travail salarié, une contrainte, et une aliénation qui s’abat sur toute une partie de la population qui, compte tenu des conditions de vie et de consommation que le capital organise n’a pas d’autre solution que d’accepter les conditions dans lesquelles on le lui propose. Pris à la gorge par des dépenses contraintes (logement, transports, énergie, assurances, nourriture, etc) toujours plus élevées, et des salaires qui globalement stagnent depuis plus de 30 ans, le salariat, dont je rappelle que la moitié des personnes concernées gagnent moins de 2005€ nets/mois (salaire median France, INSEE 12/01/2023), mesure à quel point le travail qui pour beaucoup ne permet plus de vivre dignement, se loger, se nourrir, se soigner, vêtir et éduquer ses enfants, sans même parler de partir en vacances, a un prix. Les plus de 600000 personnes victimes, chaque année, d’accident du travail, les familles des quelques 900 à 1000 morts au travail ou en trajet, et les plus de 46000 victimes reconnues de maladies professionnelles en savent quelque chose. Douloureusement.

Bref, on le voit, selon d’où on parle, le travail peut être une mystique avec ses « création d’emplois », comme s’il s’agissait d’un processus quasi divin, sa « valeur (morale) travail » qu’il faudrait placer par dessus tout, et ses grands manitous que sont les ultra riches et les éditorialistes de gouvernement. Il peut etre aussi une souffrance pour le corps lié à une marchandisation de la capacité des unes et des autres à accepter le contrat (pourri) que lui propose le capital : le dépouiller de sa force de travail en échange du droit de percevoir de quoi survivre assez longtemps pour faire tourner la grande boutique du grand capital.

Car, la valeur marchande du travail, dont nous payons si cher le prix, doit avoir le coût le moins élevé possible afin que le travail, moral, de ceux qui nous dépouillent soit le plus rentable possible. Ou pas…

*CSC : Contre Son Camp