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Photo Nnoman Cadoret

Le 14 juin 2021 par Guillaume Quintin

La violence, d’où qu’elle vienne, est toujours de la responsabilité du pouvoir.

La période que nous traversons est marquée comme aucune autre, hors temps de guerre ou de révolution, ne l’a jamais été par les phénomènes violents. Les derniers en date ne sont pas inédits: enfarinage de personnels politiques, gifle au President de la République, agressions de militant•es-candidat•es en campagne sur les marchés, prise à partie de manifestants dans les cortèges syndicaux ou citoyens, caricatures obscènes d’une députée noire dans la presse magazine, violences policières volontaires sur des député•es dûment identifié•es, manifestant•es mutilé•es, eborgné•es, ou grievement blessé•es en manif, etc. Pas inédits mais ils ont tous un point commun: tous sans exception sont le résultat d’orientations politiques qui ont laissé libre cours aux idées, aux thèses, et aux marqueurs idéologiques de l’extreme droite. Et qui d’autre, sinon les pouvoirs qui se succèdent depuis au moins 3 quinquennats, en est responsable?

J’avais alerté il y a plus de deux ans maintenant suite au matraquage de mon camarade Loïc Prud’hommes, en marge d’une manif de Gilets Jaunes, par les hommes du Préfet Lallement alors toujours en poste à Bordeaux. Ce dernier, contre toutes les règles de la République avait soutenu le flic matraqueur! Cet épisode marquait, à mon sens, une bascule dans le rapport de l’appareil d’état à la démocratie et à la République. Qu’un Prefet, donc garant d’une autorité qu’il ne tient QUE DU PEUPLE, puisque nommé par le Président de la République, approuve le matraquage d’un élu au suffrage universel, protégé dans sa fonction par la Constitution (Art. 26: “Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. Aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du bureau de l’assemblée dont il fait partie.”), qu’un Prefet approuve celà en dit long sur la déliquescence des institutions. A l’époque, Castaner, inénarrable Ministre de l’intérieur, et insondable ectoplasme politique, avait soutenu son Préfet!

Mais l’épisode n’était alors qu’un point d’orgue dans un déchainement de violence policière comme on avait malheureusement dû s’y habituer depuis les manifs contre la Loi ElKhomri qui avaient vu s’installer un déchainement de violences policières jamais atteint depuis des décennies en France.

Mais je vous parle de violences policières et on pourrait me croire de parti pris. Il va de soi que les violences en manif sont directement liées aux techniques, dites “de maintient de l’ordre”, qui sont employées. De quel ordre s’agit‐il seulement? Lorsqu’on voit ce qui en découle de sang, de blessures graves et invalidantes pour des milliers de citoyen•nes, on pourrait légitimement se poser la question quand, et on l’a vu à l’occasion de la manifestation de ce 12 juin, lorsque, a contrario, la police n’intervient pas tout est étrangement calme et se déroule sans incident. Pourtant le discours dominant c’est que “les manifestants sont violents” et que “l’opposition islamo‐gauchiste attise cette violence”… Balivernes!

Alors parlons des “émeutes” en banlieue, dans les “quartiers populaires”… Parlons de ces jeunes qui, controlés 5, 10, 20 fois par jour par les mêmes flics, avec palpations des parties intimes, pour les garçons comme pour les filles, injures racistes, humiliations, finissent parfois par, lorsqu’ils n’en peuvent plus de cette pression et de la énième insulte à leur mère ou leurs ancêtres, par “tendre des embuscades” aux flics, ou prendre d’assaut un commissariat où l’un des leurs a été emmené pour avoir conduit une moto sans casque ou fumé un joint dans la rue, à coup de feux d’artifice (les fameux “mortiers”). Qui a fait en sorte que ces mômes se retrouvent concentrés dans des quartiers où les services publics ont fondu comme neige au soleil? Qui a fait en sorte que les établissements scolaires de ces quartiers soient, pour les mieux dotés, moins bien dotés que les établissements les moins bien doté des villes bourgeoises avoisinnantes? Qui? Qui réduit les financement des associations sociales (PMI, aide aux sans logis, aide à l’enfance, assos culturelles, etc)? Qui organise le chômage de masse qui touche d’abord ces quartiers (en Seine Saint Denis‐93, le chômage des jeunes atteint 35%, supérieur de 25% à la moyenne nationale!) ?

A quel moment va‐t‐on enfin admettre que cette violence qui est souvent le dernier recours d’une jeunesse acculée n’est rien d’autre que la réaction à une autre violence, subie celle là avec un profond sentiment d’injustice, la violence sociale? N’y aurait‐il pas moyen d’avoir d’autres politiques vis à vis de ces quartiers, plutot que d’en faire des “quartiers de reconquête républicaine”, comme si les gens qui habitent là avaient d’eux même décidé de se mettre en marge de la République? L’idée même est insupportable et contribue à la stigmatisation! Nous devons la refuser! N’est‐ce pas là encore une violence que les institutions infligent à la population?

Alors vous me direz: “ouiiii, mais il y a aussi la violence du trafic de drogue dans ces quartiers!”. Soit! Dont acte! Et comment pensez vous que le traffic y prospère? Quand un môme ne trouve pas de boulot parce que sa tête, ou son nom, ne revient pas ou même, simplement, que son adresse sur son CV le catalogue “a priori”, et qu’il peut faire 100 ou 200 euros par jour dans des trafics illicites, et alors même que les gouvernements du bloc bourgeois refusent depuis des décennies de mettre en place des politiques de dépénalisation et de légalisation dont on sait qu’elles fonctionnent, qui sont les responsables des violences?

Et je pourrais continuer indéfiniment… Le délabrement des services publics, des services “au” public, de l’école à l’hôpital, des transports (SNCF, RATP) à La Poste, de la police aux universités, etc, et l’introduction de la concurrence et de la privatisation partout, tout cela concourt à rendre notre société plus violente. La réduction des aides sociales en même temps que les cadeaux fiscaux aux plus riches, la précarisation d’une frange toujours plus grande de la population au nom de la lutte contre “l’assistanat”, pendant que les dividendes coulent à milliards à coup d’argent public (CICE, PGE, CIR) tout ça est grand facteur de violence. Violence de l’injustice sociale, qui désigne les “petits”, les précaires comme des nantis alors que les vrais assistés, ceux qui gagnent leur argent en détruisant des emplois (2 millions d’emplois industriels détruits en 30 ans en France!) sont bien au chaud et siègent, ou sont représentés, dans les conseils d’administration du CAC40.

Lorsque, au plus haut sommet de l’état, le Président de la République réhabilite Mauras et loue les vertus de “grand militaire” de Pétain, alors que ces deux là ne sont qu’antisémites, collabos, traitres à la Patrie, et condamnés tous les deux à la “dégradation nationale”, pour crime “d’indignité nationale”, ce qui n’est pas rien, où est‐on?

Lorsque le Ministre de l’intérieur Darmanin publie un livre dans lequel il reprend les thèses nauséabondes de l’antisémitisme le plus crasse sur “les juifs qui pratiquent l’usure et de ce fait causent des troubles à l’ordre public”, où est‐on?

Lorsque le même, lors d’un débat qui avait plutôt des airs de pas‐de‐deux avec Marine Le Pen, présidente du Rassemblement National, vitrine officielle du fascisme en France, lui dit qu’il la trouve “trop molle” pendant que la même lui susurre qu’elle aurait aussi bien pu écrire son livre sus‐cité, où est on?

Lorsqu’un flic se croit autorisé à matraquer un député, ou un autre à jeter par terre une députée, l’une comme l’autre parfaitement identifiée, et que les ministres en charge n’y trouvent rien à redire, où est‐on?

Lorsque partout, tout le temps, les medias “mainstream”, y compris publics, valident le discours de l’extreme‐droite, lorsqu’une chaine entière est dédiée à ses idées nauséabondes, où est‐on?

Lorsque même le Secrétaire National du PCF, Fabien Roussel reprend les thèmes de l’extreme droite sur l’air de “les déboutés du droit d’asile n’ont pas vocation à rester sur le territoire français”, où est‐on?

Lorsque les syndicats de police manifestent en uniformes et en armes, jettent leur menottes au sol dans des manifs organisées devant les partis politiques, devant le Ministère de l’Intérieur, devant les locaux d’organes d’information, et expliquent dans une manif sous les fenêtres de l’Assemblée Nationale que “le problème de la police, c’est la justice”, où est‐on?

Lorsque des policiers agressent à une dizaine un citoyen, Michel Zecler, “pour rien”, et l’envoient à l’hôpital avec plusieurs fractures, où est‐on?

Lorsqu’un “youtubeur à succès” (sic) selon Libé, militant revendiqué d’extreme‐droite, filme, monte et publie une vidéo dans laquelle on le voit massacrer de plusieurs tirs de fusil et de plusieurs coups de couteau de chasse, un mannequin censé représenter “Jean Luc Melenchon et les électeurs de gauche”, où est‐on?

Lorsque d’autres policiers, encore, manipulent et trafiquent des PV d’audition pour incriminer des jeunes qui feront des mois et des années de prison pour rien dans l’affaire dite de Viry Chatillon, où est‐on?

Lorsque qu’un militant d’extreme‐droite gifle le Chef de l’Etat et qu’un autre enfarine Jean Luc Melenchon, mais aurait aussi bien, en l’absence de toute protection policière malgré des menaces de mort circonstanciées, attenté à sa vie, où est‐on?

Lorsque le même Emmanuel Macron, minimise “un acte isolé”, pour ne pas aller frontalement au refus des pratiques de l’extreme‐droite, où est‐on?

Lorsque rien, ou si peu, n’est fait contre les violences par conjoint ou ex‐conjoint, sur des centaines et des milliers de femmes, tuant chaque années des dizaines d’entre elles, où est‐on?

Tous ces exemples ne sont qu’une toute petite partie de la multitude que chaque jour qui passe nous apporte des situations de violence que l’état ne combat pas voire encourage d’une certaine façon. Et on pourrait les multiplier à l’infini. Car enfin, dans chacune de ces situation, le “pouvoir”, l’État aurait les moyens d’intervenir et donc de faire baisser la tension et la violence.

Alors je l’affirme ici, d’où qu’elle vienne, la violence est toujours de la responsabilité du pouvoir car, partout, toujours, les solutions sont entre ses mains, et si nous voulons une société appaisée, une société fondée sur le partage équitable, celui du du temps, celui des opportunités de travail, celui des connaissances, de la culture et du savoir, sur le partage équitable des biens communs, si nous voulons une 6eme République, qui inscrit les services publics comme biens communs, il va vraiment falloir bifurquer et changer de modèle. Parce que si la violence est de la responsabilité du pouvoir, alors la non‐violence sociale, politique, démocratique, et écologique l’est au moins tout autant.