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3 mars 2019 Par Guillaume Quintin

Samedi 2 mars 2019, aux alentours de 17h30, alors qu’il quitte paisiblement la manif des Gilets Jaunes à Bordeaux afin de récupérer son vélo et rentrer chez lui, le Député de la France Insoumise Loïc Prud’Homme est matraqué par un membre des forces de l’ordre. C’est à cet instant que tout bascule.

Il suffit pour s’en convaincre de lire les commentaires à propos de l’épisode sur les réseaux sociaux, ou plutôt l’absence de commentaires d’une part importante de la sphère politique et médiatique. En effet, au moment où j’écris ces lignes, seuls les élus de La France Insoumise ont protesté et se sont élevés contre cet épisode.

Les “autres camps”, à part O. Dartigolles au PCF et E. Benbassa à EELV, font preuve, dans le meilleur des cas, d’un silence assourdissant, dans le pire, en rajoutent en justifiant les coups portés à un député de la République, tel l’inénarrable F. Lefebvre, lequel, il faut le rappeler, a été député et ministre. Il n’est donc pas sans connaître la Loi, et la Constitution qui protègent l’intégrité physique du représentant du peuple et interdit à son encontre tout moyen de coercition de quelque sorte que ce soit.

A ce stade, pas un commentaire du président de l’Assemblée, le veule Richard Ferrand, dont toute la classe politique, y compris LFI, s’est offusquée de l’incendie de son pavillon en Bretagne il y a quelques jours, pas un mot, rien!

Je me souviens aussi de l’agression de la députée LREM sur le marché de Bagneux (92) en juillet 2017 qui avait, à juste titre, déclenché un tollé de protestation, y compris sur nos bancs.

Ce silence est coupable et complice, et il l’est bien plus que les tombereaux orduriers d’injures que subit Loïc Prud’Homme sur les réseaux sociaux depuis hier, qui montrent à la fois l’inculture crasse en matière constitutionnelle, le total manque d’empathie autant que de simple conscience politique de ceux qui soutiennent encore ce gouvernement. Car enfin, comment, même si on ne partage pas les opinions de quelqu’un, ne peut‐on pas voir dans cet épisode le signe malheureux d’un basculement idéologique et politique? Comment peut on se réjouir de voir un opposant se faire matraquer?

Comment en est on arrivé à ce point que quelques vitrines brisées aient plus de poids dans l’information et suscitent plus d’émotion que la perte d’un oeil, d’une main, ou le matraquage d’un député.

Je ne compare évidemment pas la perte d’un oeil avec quelques millimètres de peau coupée par un coup de matraque. Ou plutôt si je les compare et considère que les deux sont d’égale importance: l’un sur le plan humain, car rien ne justifie de mutiler à vie une personne qui ne fait qu’exprimer ses opinions (et parfois même pas!), et l’autre au plan politique et institutionnel, car justifier et trouver “normal” que l’on s’en prenne à un représentant élu alors même qu’il est protégé constitutionnellement en dit long sur la perte de repères politiques de notre société.

Et ceux qui se gaussent aux frais de Loïc ou de Jean Luc Mélenchon lorsqu’il dit “La République c’est moi. Ma personne est sacrée” feraient bien d’y réfléchir à deux fois. Car effectivement, ceux là qui, “en même temps”, se targuent au quotidien de nous donner des leçons de démocratie et de républicanisme, devraient réfléchir à la portée de l’évènement.

Si l’on en vient à accepter ce fait comme “normal” et à le justifier par je ne sais quelle contorsion de l’esprit sur l’air de “il n’avait rien à faire là” alors il n’y a plus aucune limite.

Aucune limite à ce que l’on est capable d’accepter de dérive de la part d’un pouvoir qui, aveugle et sourd, n’a pas eu un mot pour les dizaines d’éborgnés, d’amputés, et de blessés de ces manifs du samedi, Emmanuel Macron allant même jusqu’à nier le décès de Zineb Redouane, cette octogénaire marseillaise décédée des suites de l’explosion d’une grenade au 4eme étage de son immeuble, grenade tirée depuis la rue, en déclarant que les FDO avaient réussi par leur professionnalisme à éviter qu’il y ait des morts malgré le climat de tension extrême des manifestations, évidemment à mettre seulement sur le compte des Gilets Jaunes.

Aucune limite lorsque l’on voit le ministre de l’intérieur aller “faire la leçon” à des enfants de 10 ans, dans un émission de télé et leur expliquer les conditions de maniement du LBD.

Aucune limite lorsque l’on voit un journaliste reporter d’images, Gaspard Glanz, fiché S pour avoir simplement couvert sous l’angle de la dénonciation les manquements à la simple humanité des forces de l’ordre dans l’évacuation de la jungle de Calais.

Tous ces évènements, tous ces épisodes, tous ces dérapages, mis bout à bout, forment un tableau assez sombre et inquiétant. L’acceptation de ceux ci que traduisent les commentaires sur les réseaux sociaux devrait nous alerter.

Le fait qu’un policier puisse, en toute connaissance de cause, et tout à fait consciemment, asséner ne serait ce qu’un seul coup de matraque à un député de la République, cela, c’est l’instant où tout bascule.