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Le 15 juin 2020 par Guillaume Quintin

Police, racisme et culture d’entreprise…

Depuis la mort de George Floyd, asphyxié sous le genou d’un policier à Minneapolis, et son retentissement en France à travers les actions du Comité « La Vérité Pour Adama » qui réclame que toute la justice soit faite sur le décès d’Adama Traoré, il est question chaque jour du racisme et de la police.

La découverte de groupes Facebook où des membres des forces de l’orde, policiers comme gendarmes, échangent des messages à caractère racistes, sexistes ou homophobes, interpelle l’opinion et oblige C. Castaner à les dénoncer, du bout des lèvres. Il va surtout s’ingénier à nier que la police soit raciste.

Dans la même séquence, le témoignage sur ARTE‐Radio d’Alex, policier rouennais, noir, sur l’existence d’un groupe sur le réseau WhatsApp où ses collègues s’échangent des messages violemment racistes, met Beauvau au pied du mur.

Le 8 juin, le ministre de l’Intérieur se livre à une conférence de presse lunaire dans laquelle il nous explique avoir demandé aux directeurs de la police et de la gendarmerie “qu’une suspension soit systématiquement envisagée pour chaque soupçon avéré d’acte ou de propos raciste” de la part d’un policier ou d’un gendarme.

Passons sur le concept de « soupçon avéré » qui confine au ridicule sémantique, le reste de son annonce, «  qu’une suspension soit systématiquement envisagée », a mis le feu à la plaine de la police et déclenché illico une vague de manifestations de mécontentement des policiers et de leurs syndicats au motif que le ministre aurait « lâché ses flics ». Et tout le gotha des commentateurs des plateaux de télé lutéciens de nous expliquer que « non, non, il n’y a pas plus de racisme dans la police que dans le reste de la population », que « être raciste n’est pas interdit par la loi, seulement de tenir des propos racistes », bref, « tout va très bien Madame la Marquise » !

Non seulement tout ça est démenti par les captations vidéo des citoyen•ne•s témoins des exactions policières et de leur méthodes d’interpellations violentes, qui touchent, étonnamment, plus souvent les personnes racisées que les « caucasiennes » (voir la vidéo de l’arrestation de Lamine Ba, médiateur à Sevran, ou celle de Boubacar, également médiateur, mais à Gennevilliers à trois mois d’intervalle).

L’épisode de L’Île Saint Denis, fin avril dernier, où un homme d’origine égyptienne se jette à l’eau pour échapper à un contrôle puis est finalement repêché par une patrouille à laquelle participe un commissaire (condamné, dans une autre affaire, à un an de prison avec sursis et un an d’interdiction d’exercer, pour « abstention volontaire d’empêcher un crime ou un délit ») qui le bat comme plâtre et l’insulte de « bicot » à qui il aurait mieux valu mettre un boulet pour qu’il coule et se noie, est également dans toutes les mémoires.

Le confinement a également apporté son lot de témoignages de la différence de traitement dans les contrôles selon que celui ci avait lieu à l’encontre de personnes racisées ou non. On a vu en particulier des interventions de la BAC tourner à la limite du lynchage, y compris sur des gens parfaitement en règle, et tout à fait « paisibles ».

L’arrestation ultra violente du petit Gabriel (14 ans, 50kg) sur lequel les flics se sont déchainés à coup de rangers dans la figure, à qui le médecin a donné 45 jours d’ITT (c’est énorme!), montre également que quelque chose ne tourne pas rond à la maison poulaga.

Depuis plusieurs jours, des syndicats de policiers, Alliance PN en tête, mènent des actions de manifestation et de revendication, s’estimant victimes d’une cabale « anti flics », les mêmes qui estiment que traiter un citoyen de « bamboula » « ça passe » (sic), ou qu’un manifestant qui perd sa main dans l’explosion d’une GLI‐F4 « c’est bien fait pour sa gueule » (re‐sic).

Il y a donc à l’évidence une «dissonance cognitive » entre ce que l’on peut observer et ce que l’on essaie de nous faire avaler…

Peut‐on dire que, comme le défendent les vrais républicains, « la police n’est pas raciste, mais il y a des racistes dans la police » ? De fait une institution peut elle être raciste ? Une organisation peut elle porter en elle l’idée que certains hommes ou femmes peuvent avoir moins de valeur, être inférieurs à d’autres ? L’idée est absolument insupportable à tout bon républicain soucieux de faire vivre la devise de la France : « Liberté, Egalité, Fraternité ». Il va de soi que ce triptyque évacue de lui même toute idée de racisme et de ses avatars.

Les exemples de situations relatés, y compris depuis l’intérieur de l’institution sont pourtant légion, et anciens ! Il y a dix ans, Sihem Souid, a raconté dans « L’omerta dans la police » (Ed. Cherche Midi) le quotidien de la Police de l’Air et des Frontières d’Orly où le racisme était omniprésent et le silence complice de la hiérarchie patent; pire, ses dénonciations lui ont valu des poursuites pour violation du secret professionnel, poursuites dont elle a été acquittée trois ans plus tard. Plus récemment, l’interview par France info de Samir (prénom changé) où il explique qu’il se fait traiter de bougnoule par ses collègues le premier jour de son arrivée fait froid dans le dos.

Je ne reviendrai pas ici sur la palanquée d’études sociologiques qui ont montré qu’un jeune noir ou d’origine maghrébine avait un risque de se faire controler bien plus élevé qu’un jeune non racisé. Le procès intenté à l’État par Mamadou, Zakaria et Ilyas à la suite de leur brutal contrôle en Gare Du Nord en mars 2017 dit tout de cette gangrène de nos institutions policières.

A ce moment il convient de se pencher sur un angle mort et qui n’est apparu à aucun moment dans les commentaires des uns et des autres sur le sujet, il a été un peu évoqué, et c’est la réflexion d’un fonctionnaire de police qui a attiré mon attention là dessus : « Si tu n’es pas raciste quand tu entres dans la police, tu le deviens, ou tu t’en vas »… J’ai par ailleurs produit, il y a quelques jours, un long thread sur Twitter sur l’histoire de la BAC, issue des scories de la police coloniale et formée par des éléments de brigades spécifiquement dédiées aux “crimes des communautés d’Afrique du Nord”, et un autre où je rappelais que la Police Nationale fut créée en 1941 par Pétain et jamais purgée à la libération, à la suite duquel un twittos m’a fait remarquer que « faut pas déconner, ceux de 1941 ne sont plus là »… Sans aucun doute, oui ! Mais tout ça m’a fait faire le lien avec ce que l’on appelle dans le privé la « culture d’entreprise ».

Alors qu’est ce qu’une culture d’entreprise et comment ça se fabrique ? C’est en réalité assez simple et pour illustrer mon propos, je vais vous raconter l’histoire de cette expérience qu’on appellera : « le singe, la banane et la douche froide ».

Enfermez 10 singes dans une cage, placez y un escabeau, et au dessus de l’escabeau suspendez une banane. A chaque fois qu’un des singes va tenter de monter à l’escabeau, vous douchez tout le groupe à l’eau glacée. Chaque singe va tenter de monter décrocher la banane et tous vont se faire doucher à l’eau glacée jusqu’à ce qu’ils comprennent le lien entre “monter à l’escabeau” et “se prendre la douche” qui va donner la conséquence suivante : au bout d’un moment, le premier qui tente de grimper à l’escabeau se fait chopper par tous les autres qui lui mettent une branlée à vous faire passer l’envie de banane, et de monter à l’escabeau. Puis un autre, puis encore un autre et ainsi de suite jusqu’à ce que tous les singes se soient fait défoncer.

A ce moment, on a créé un genre de réflexe pavlovien mais l’expérience se poursuit. En effet à ce stade, on va retirer un des singes de la cage et le remplacer par un autre singe qui n’a rien vécu du début de l’expérience. Que croyez vous qu’il se passe ? A peine arrivé, il va monter à l‘escabeau et se faire défoncer le portrait par ses congénères ! Remplacer un autre des 10 premiers singes par un second « vierge », même délit même punition : escabeau => branlée ! Puis trois, puis quatre, jusqu’à avoir remplacé les 10 premiers singes par 10 autres, qui n’ont jamais connu la douche froide, mais qui, si vous introduisez dans la cage un autre singe qui tente de monter à l’escabeau pour décrocher la banane, vont tous, comme un seul, se ruer sur lui pour le battre comme plâtre, sans savoir pourquoi ! Vous venez de créer une culture d’entreprise ! Une culture d’entreprise, c’est un ensemble de règles non écrites, que tout le monde applique et se transmet, mais sans savoir pourquoi ni dans quel but.

La police nationale fonctionne exactement sur ce schéma, comme toutes les organisations elle a sa culture d’entreprise, sans doute avec des nuances selon les différentes divisions, mais les fondamentaux sont les mêmes et elle n’y échappe pas dans son ensemble. Son essence est fondamentalement raciste et xénophobe, sexiste et homophobe. Les comportements déviants n‘y sont pas sanctionnés, à défaut d’être parfois encouragés. L’enquête de David Dufresne et Pascale Pascariello publiée dans MEDIAPART et portant sur 65 dossiers de l’IGPN démontre que l’IGPN censée sanctionner les dérives non seulement ne les sanctionne pas mais au surplus est une énorme machine à disculper les fonctionnaires contrevenant à l’éthique républicaine.

Il est grand temps de changer et réformer ce corps de fond en comble. Dans une période où le pouvoir en place n’a de cesse de réduire les libertés individuelles et collectives, faire appliquer la Loi par un corps qui distingue les citoyens selon leur couleur de peau ou leur apparente origine ethnique est un risque réel sinon un danger pour la Démocratie et la République. Gardons à l’esprit que cette odieuse idéologie qui a donné l’esclavage, le code noir, l’apartheid, la Shoah, qui a tué Adama, Zyed et Bouna, Ibrahim Ba, et combien d’autres est la même qui privilégie l’actionnaire sur le salarié, la clinique privée à l’hôpital public et libéralise le rail au détriment de ses cheminots et de ses usagers, et ainsi de suite… Car en effet le capitalisme et ses dérives libérales ont de tous temps utilisé les singularités entre êtres humains comme autant de différences qui devaient fonder et justifier un discours suprémaciste. Le racisme est un cancer qui ronge nos institutions que l’on rêve républicaines, et qu’on anéantira que lorsque nous aurons fait advenir l’Avenir en Commun, et les Jours Heureux. D’ici là disons le haut et fort : « Siamo Tutti Anti Fascisti » et soutenons le collectif Justice Pour Adama, car, « Sans Justice, pas de Paix » !

Addendum, le 31/07/2020

Depuis la rédaction de ce billet a surgi sur la scène mediatique “l’affaire” du lanceur d’alerte Amar Benmohamed, ce policier affecté à la souricière du Palais de Justice de Paris et qui a décrit les attitudes racistes, les brimades, les insultes, et la maltraitance envers les détenu•e•s auxquel•le•s se sont livré•e•s ses collègues. Amar Benmohamed raconte comment dès qu’il a “lancé l’alerte” au près de sa hiérarchie c’est lui qui est devenu la cible de l’institution.

La “Une” de Libé du 30 juillet 2020, dit tout: “Si tu ne couvres pas, tu es un traitre”. Après ça, Darmanin, comme Castaner, va venir nous expliquer que la Police Nationale est républicaine. Et moi, je suis les Beatles!